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lundi 15 novembre 2010

Appel à communications : Etre russe, écrire à l'étranger


Etre Russe, écrire à l’étranger

Journée d’études,
Université Paris Ouest Nanterre La Défense
Département d’études slaves
Date limite: 31 janvier


Le département de russe de l'Université Paris Ouest Nanterre la Défense organise une journée d'études, le vendredi 27 mai prochain, autour du thème 'Etre russe, écrire à l'étranger'.


Argumentaire

Qu’il réside à l’étranger de manière permanente ou temporaire, quel que soit le pays d’adoption, l’écrivain « russe de l’étranger » (russkogo zarubejia) constitue un concept unique dans l’histoire de la littérature « russe » mais s’applique essentiellement aux auteurs émigrés après la révolution de 1917. Ce constat invite à réexaminer la validité de ce concept, ou de « l’écriture de l’exil » (Nedim Gürsel) pour les écrivains expatriés au XIXe siècle, résidant à l’étranger pour des raisons personnelles (Tourgueniev) ou politiques (Herzen), et pour les autres vagues d’émigration jusqu’au début du XXIe siècle. On observe en effet un changement considérable dans la nature de ce phénomène au cours de ces deux derniers siècles : si les premières générations s’inspiraient avant tout de la vie russe et s’adressaient au public de Russie, l’exode forcé des Russes blancs en Europe (à Prague, à Berlin et surtout à Paris, mais aussi à Shanghai) après la révolution d’Octobre fait apparaître un type d’écrivain qui s’adresse cette fois-ci au cercle plus restreint de la communauté russophone résidant aussi à l’étranger, sans nourrir l’espoir de voir ses œuvres publiées en Union Soviétique. Lorsque le changement géographique est généré par une pression politique, le rapport de l’auteur à son passé est beaucoup plus aigu, et l’amène à se questionner nécessairement sur la reconstruction d’une existence sur les ruines d’un passé endeuillé, ainsi que sur la bipolarité de son identité. Il faudra s’interroger sur l’impact de cet état ambivalent sur l’écriture produite dans un ailleurs contraint. La meilleure façon de s’en faire une idée consiste sans doute en une étude comparative des textes produits avant et après l’exil (Bounine, Chmelev, Balmont, Kouprine, A. Tolstoï, Teffi…).

La plupart de ces auteurs restent fidèles à la langue russe, mais d’autres, comme Nabokov ou Berberova, s’orientent vers une langue étrangère, soit directement, soit par le biais de la traduction. Moins visible est l’émigration d’écrivains de l’immédiat après-guerre, souvent liée aux déplacements subis pendant la guerre : leur succès a du moins été peu médiatisé car leur départ n’avait généralement rien d’idéologique (N. Narokov, L. Rjevski, S. Maximov…). Dans quelle mesure leur écriture se distingue-t-elle, au moins d’un point de vue formel, de celle de la précédente vague ?

Le désir d’échapper à la censure, au jugement de ses compatriotes, ou tout simplement d’élargir les possibilités de création peuvent motiver l’exil lui-même : parfois, le fait de résider à l’étranger est même le seul moyen de voir ses œuvres éditées, en russe ou traduites vers une autre langue, comme c’est le cas de Sergueï Dovlatov et Joseph Brodski, de la vague d’émigration des années 1970, dont les premiers livres ont été publiés aux Etats-Unis. D’autres ont abandonné la fiction dans laquelle ils écrivaient habituellement avant leur départ, pour se consacrer à d’autres genres (recherches historiques, essais, etc.), comme Soljenitsyne, à partir de son expulsion de l’URSS en 1974.

Enfin, de nos jours, les auteurs résidant de manière permanente à l’étranger, s’adressent souvent à la fois au lecteur de leur pays d’accueil et de leur pays d’origine (comme Dina Rubina, qui vit en Israël). Ceci pose au lecteur contemporain la question de l’interprétation de cette double énonciation : en jouant sur deux tableaux, sur un double horizon d’attente, ce type d’écrivain se place lui-même dans une posture difficilement tenable qui pourrait s’apparenter à un défi. Quant à Andreï Makine, qui contourne cet écueil, il offre aux seuls lecteurs français de plaisants clichés russes qui offusqueraient plus d’un de ses anciens compatriotes. D’autres encore, dans un univers décalé, fournissent au lecteur des intrigues inattendues et burlesques, comme Iegor Gran.

Cette situation particulière de l’écrivain russe à l’étranger fait surgir de nombreux questionnements qui permettent d’ouvrir un champ d’études à la fois théorique et pratique dans les domaines de l’histoire de la littérature, de la traduction, de la narratologie, de la philosophie. Nous invitons les intervenants de cette journée d’études à s’interroger sur les conditions qui ont présidé aux choix de l’auteur concernant la langue dans laquelle il écrit, les thématiques abordées, son engagement personnel et les répercussions de cette écriture tant sur l’écrivain lui-même, à un niveau ontologique, que sur le public avec lequel il interagit. Enfin, il conviendra de rechercher un ou plusieurs termes pour définir la situation de ces auteurs à l’étranger car, selon Brodski, « on peut considérer le mot exil comme n'étant peut-être pas le terme le plus approprié pour décrire l'état d'un écrivain forcé – par l'Etat, la peur, la misère, l'ennui – de quitter son pays ».

Merci d'envoyer toute proposition de communication avant le 31 mars prochain, à l'une des adresses e-mail suivantes :
graham.roberts@u-paris10.fr
anna.akimova@yahoo.fr