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samedi 17 avril 2010

Conférence à Genève en mai 2011 sur les représentations historiques et la réécriture du passé dans la Russie post-soviétique


Université de Genève Institut Européen 2 rue Jean-Daniel Colladon - CH-1204 Genève Tél. 022 379 78 50 - Fax 022 379 78 52 www.unige.ch/ieug

APPEL À COMMUNICATIONS
Conférence internationale Genève, 12-13 mai 2011
Les représentations historiques
et la réécriture du passé
dans la Russie post-soviétique

Dans les pays « postcommunistes » d’Europe centrale et orientale, la quête d’une nouvelle construction nationale et la légitimation des nouveaux pouvoirs s’est appuyée, et continue de s’appuyer à des degrés divers, sur une réécriture du passé et une réinterprétation de faits ou de personnages historiques. Si les dirigeants politiques jouent un rôle important dans ce processus, les intellectuels (universitaires, journalistes, écrivains, artistes, etc.) font, eux aussi, « usage » du passé. Parallèlement, les opinions publiques ont suivi des évolutions très rapides, de sorte que les visions officielles de l’histoire, constitutives des régimes communistes, ont laissé la place à des représentations multiples du passé, puisant aussi bien dans les traditions nationales que dans les influences extérieures, notamment occidentales. Ainsi, les forces politiques, les élites intellectuelles et les opinions ont toutes été engagées dans un processus de réévaluation du passé, sans qu’il soit toujours facile d’y discerner la part de responsabilité de chacune d’entre elles. La Russie ne fait pas exception. La perestroïka, puis l’éclatement de l’URSS en août 1991 ont entraîné l’historiographie dans une crise profonde. Les schémas d’explication historique de l’époque soviétique ont été massivement rejetés, l’interprétation marxiste-léniniste de l’histoire vouée aux gémonies. Durant la perestroïka, la réévaluation de l’histoire a été rapide, et son réexamen permanent a laissé les enseignants d’histoire livrés à eux-mêmes. Il s’agissait désormais, selon l’expression de Gorbatchev, de combler les « taches blanches » de l’histoire russe. La crise fut si importante qu’en mai 1988, les examens d’histoire et les programmes obligatoires furent supprimés dans les écoles. Durant la période qui s’étend de la perestroïka au début des années 1990, les années staliniennes étaient le plus souvent perçues comme une période de terreur, d’épreuves et d’annihilation de l’individu. Lénine était dépeint comme le créateur d’un système désormais perçu comme criminel. Le mythe fondateur de la « Grande Révolution socialiste d’Octobre » était souvent représenté dans les nouveaux manuels scolaires d’histoire comme un « accident de l’histoire », dont les bolcheviks avaient pu profiter en raison du manque de perspicacité et d’audace politique des autres dirigeants politiques. Parallèlement, une image idéalisée de la Russie de l’Ancien Régime, y compris de sa monarchie, s’installait peu à peu. La période de l’URSS était en quelque sorte mise entre parenthèses, ce qui permettait d’opérer une continuité historique entre l’époque prérévolutionnaire et postsoviétique. Comme le démontrent des études réalisées par des chercheurs tant russes qu’occidentaux, une évolution s’est produite dans la représentation du passé soviétique au cours des années 1990. Alors que la Russie traversait une crise sociale, politique et économique profonde, les 2 images du passé soviétique semblaient aux yeux de larges couches de la population moins sombres à mesure qu’elles s’éloignaient dans le temps. C’est ainsi que la période soviétique a peu à peu été réintégrée dans la mémoire historique : l’époque de Brejnev tout d’abord, mais aussi, progressivement, la figure de Staline et l’époque stalinienne. Dès le milieu des années 1990, selon de nombreux sondages, Staline était perçu par un nombre croissant de citoyens russes comme un des plus grands chefs d’État du XXe siècle et comme le maître d’œuvre de la « Grande Victoire ». Cette évolution a également été constatée du côté des élites, que ce soit dans le monde politique ou les médias. Dès le début des années 2000, l’idée d’un pays victorieux et puissant est devenue centrale pour le nouveau pouvoir politique, qui, en refondant sa légitimité, en est venu à s’intéresser de plus près à la vision du passé. Ainsi, dès le début de son mandat présidentiel, Vladimir Poutine a manifesté de l’intérêt pour le contenu des manuels scolaires d’histoire russe, en particulier en ce qui concerne les XXe et XXIe siècles. Il ne s’agit plus de souligner les « aspects négatifs de l’ancien système », mais de susciter chez l’écolier un sentiment de fierté à l’égard de l’histoire de son pays. Aussi bien dans les médias que dans les productions pédagogiques, voire dans l’écriture de l’histoire de façon générale, les grands axes et moments de la politique stalinienne sont présentés sur un mode de justification et de légitimation. La publication depuis 2007 de certains manuels d’histoire faisant partie d’un important projet d’élaboration de nouveaux standards d’éducation au niveau fédéral, le décret présidentiel de mai 2009 sur la création d’une Commission de lutte contre les tentatives de falsification de l’histoire, tels sont les exemples les plus récents, de l’avis de nombreux historiens, sociologues, politistes ou journalistes russes, de la tentative du pouvoir politique qui chercherait à définir les lignes directrices du discours historique. Par ailleurs, à côté de la réévaluation positive de Staline et de sa politique de « modernisation forcée » de l’URSS, perceptible dans les nouveaux manuels scolaires, des gestes qui en prennent le contre-pied, telle la présence de Vladimir Poutine en 2007 à Boutovo (lieu de commémoration annuelle des grandes purges staliniennes) ou les propos du président Dmitri Medvedev, le 30 octobre 2009 (journée commémorative des prisonniers politiques), suscitent des interrogations et des interprétations diverses de la part des observateurs russes et étrangers. Les représentations historiques et la réécriture du passé dans la Russie post-communiste, tel sera l’objet de la conférence pluridisciplinaire et internationale qui se tiendra à Genève sous l’égide de l’Institut Européen (groupe d’Études des pays d’Europe centrale et orientale - GEPECO) et de la Faculté des Lettres (unité de russe et unité d’histoire contemporaine) de l’Université de Genève en mai 2011. On s’efforcera d’examiner les grandes tendances et les évolutions des représentations historiques depuis la chute du communisme. Périodes historiques concernées. Même si les images et interprétations du XXe siècle recevront par la force des choses une attention maximale, aucune période de l’histoire de la Russie/URSS ne sera exclue, pour autant qu’elle fasse l’objet de réinterprétations.

Aires géographiques. Il s’agira de s’interroger sur les représentations de l’histoire russe et soviétique. Les représentations de l’histoire dite « universelle » (extérieure au monde russo-soviétique) n’entreront dans le champ de réflexion que lorsqu’elles impliquent la Russie : relations internationales (par exemple germano-soviétiques, soviético-américaines, russo-japonaises…), pays englobés à un moment ou à un autre par l’Empire russe ou l’Union Soviétique (par exemple, Pologne-Lituanie, pays baltes, Ukraine, Caucase et Transcaucasie, Bessarabie/Moldavie, Asie centrale…) ou compris dans sa sphère d’influence (par exemple, Tchécoslovaquie, Afghanistan…).

On prendra comme objets d’analyse les discours politiques, les médias (presse, radio, télévision, internet), les phénomènes d’opinion publique, l’enseignement de l’histoire (manuels, programmes, etc.), les productions littéraires et artistiques et, de façon générale, toute diffusion des représentations historiques. En règle générale, on ne s’attachera aux productions savantes que dans la mesure où elles ont fait ou font l’objet d’utilisations, de diffusions ou de réactions publiques, positives ou négatives.

On prêtera une attention particulière aux moments les plus significatifs de l’histoire (guerres, révolutions, industrialisation, modernisation, collectivisation, répression politique et sociale…) ainsi qu’aux personnalités historiques (chefs d’État, commandants militaires, personnalités politiques diverses…). On s’intéressera également aux différents lieux (institutions, partis, groupes politiques, associations, milieux sociaux, sites Internet…) producteurs de représentations et d’opinions historiques.

La conférence réservera également une part importante aux conséquences des usages politiques de l’histoire sur les relations de la Russie avec des pays tels que l’Ukraine, les pays baltes ou la Pologne, où les lectures actuelles de l’histoire, notamment celle de la Seconde Guerre mondiale, s’opposent à certaines lectures faites en Russie.

  • Les propositions de communication, en français ou en russe, devront parvenir avant le 30 mai 2010 à Korine Amacher (korine.amacher@unige.ch) et Wladimir Berelowitch (wladimir.berelowitch@unige.ch). Cette proposition comprendra : - le nom de l’auteur, - le titre de la communication, - un résumé d’environ 500 à 2000 signes, espaces compris (ou 80 à 300 mots), - un bref curriculum vitae.
  • Notification d’acceptation des propositions : 30 juin 2010.
  • Les langues du colloque seront le français, le russe et l’anglais.
  • Les frais de séjour seront pris en charge par les organisateurs. Les participants demanderont à leur institution le remboursement de leurs frais de voyage. En cas de refus, les organisateurs s’efforceront de les aider dans la mesure des moyens disponibles.
  • Les actes du colloque seront publiés.

Institutions organisatrices : Université de Genève : Institut Européen (groupe GEPECO) et Faculté des Lettres (unité de russe et unité d’histoire contemporaine). Avec le concours de l’Association Memorial (Moscou), du GARF (Moscou), des Éditions Rosspen (Moscou) et du CERCEC (EHESS/CNRS, Paris). Comité scientifique du colloque : Korine Amacher (Faculté des Lettres/Institut Européen, Genève), Wladimir Berelowitch (Faculté des Lettres/Institut Européen, Genève), Alain Blum (CERCEC, Paris), Christoph Conrad (Faculté des Lettres, Genève), Jean-Philippe Jaccard (Faculté des Lettres, Genève), Sergueï Mironenko (GARF, Moscou), Arseni Roginski (Memorial, Moscou), Andreï Sorokine (Éditions Rosspen, Moscou). Date du colloque : 12-13 mai 2011